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Hector Malot (3ème partie)

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Разработка содержит продолжение работы над текстом романа Гектора Мало "Без семьи"

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«Hector Malot (3ème partie)»

Hector Malot (3ème partie) Lisez les fragments du roman et répondez aux questions:



1. Quelle était la preuve que Vitalis n’était pas un méchant homme?

2. Qu’est-ce qui a fait Rémi oublier son chagrin ?

3. Quel temps faisait-il le premier jour de leur voyage ?

4. Comment Vitalis maintenait l’obéissance et la discipline dans sa troupe ?

5. Pourquoi l’enfant ne pouvait-il pas s’endormir ?

6. Quel ami a eu Rémi ?

7. Dans quelle famille se trouvait Rémi quand approchait le moment où Vitalis allait sortir de prison ?

8. Quels étaient les plans de madame Milligan ?

9. Pourquoi Rémi avait si grand effroi de la vérité de son statut ?

10. Comment s’est passé la rencontre de Rémi avec Vitalis ?

11. Quelle était la décision de Vitalis ?

12. Quelle était l’explication de sa décision?

13 En quelles circonstances est mort Vitalis ?

14. Qui était la petite fille qui lui a donné son assiette pleine de soupe ?

15. Quelle est la fin de cette histoire ?

16. Où et quand se déroule l’action de ces fragments?

17. Quels sont les problèmes qui y sont soulevés ?

18. Dégagez les idées pricipales de chaque fragment.

19. Quels détails ou faits ont une grande valeur dans la narration ?




Chapitre 5 
En route 


Pour acheter les enfants quarante francs, il n’en résulte pas nécessairement qu’on est un ogre et qu’on fait provision de chair fraîche afin de la manger.

Vitalis ne voulait pas me manger, et, par une exception rare chez les acheteurs d’enfants, ce n’était pas un méchant homme.

J’en eus bientôt la preuve.

C’était sur la crête même de la montagne qui sépare le bassin de la Loire de celui de la Dordogne qu’il m’avait repris le poignet, et, presque aussitôt nous avions commencé à descendre sur le versant exposé au Midi.

Après avoir marché environ un quart d’heure, il m’abandonna le bras.

— Maintenant, dit-il, chemine doucement près de moi ; mais n’oublie pas que, si tu voulais te sauver, Capi et Zerbino t’auraient bien vite rejoint ; ils ont les dents pointues.

Me sauver, je sentais que c’était maintenant impossible et que par suite il était inutile de le tenter.

Je poussai un soupir.

— Tu as le cœur gros, continua Vitalis, je comprends cela et ne t’en veux pas. Tu peux pleurer librement si tu en as envie. Seulement tâche de sentir que ce n’est pas pour ton malheur que je t’emmène. Que serais-tu devenu ? Tu aurais été très-probablement à l’hospice. Les gens qui t’ont élevé ne sont pas tes père et mère. Ta maman, comme tu dis, a été bonne pour toi et tu l’aimes, tu es désolé de la quitter, tout cela c’est bien ; mais fais réflexion qu’elle n’aurait pas pu te garder malgré son mari. Ce mari, de son côté, n’est peut-être pas aussi dur que tu crois. Il n’a pas de quoi vivre ; il est estropié ; il ne peut plus travailler, et il calcule qu’il ne peut pas se laisser mourir de faim pour te nourrir. Comprends aujourd’hui, mon garçon, que la vie est trop souvent une bataille dans laquelle on ne fait pas ce qu’on veut.

Sans doute c’étaient là des paroles de sagesse, ou tout au moins d’expérience. Mais il y avait un fait qui en ce moment, criait plus fort que toutes les paroles, — la séparation.

Je ne verrais plus celle qui m’avait élevé, qui m’avait caressé, celle que j’aimais, — ma mère.

Et cette pensée me serrait à la gorge, m’étouffait.

Cependant je marchais près de Vitalis, cherchant à me répéter ce qu’il venait de me dire.

Sans doute, tout cela était vrai ; Barberin n’était pas mon père, et il n’y avait pas de raisons qui l’obligeassent à souffrir la misère pour moi : il avait bien voulu me recueillir et m’élever ; si maintenant il me renvoyait, c’était parce qu’il ne pouvait plus me garder. Ce n’était pas de la présente journée que je devais me souvenir en pensant à lui, mais des années passées dans sa maison.

— Réfléchis à ce que je t’ai dit, petit, répétait de temps en temps Vitalis, tu ne seras pas trop malheureux avec moi.

Après avoir descendu une pente assez rapide, nous étions arrivés sur une vaste lande qui s’étendait plate et monotone à perte de vue. Pas de maisons, pas d’arbres. Un plateau couvert de bruyères rousses, avec çà et là des grandes nappes de genêts rabougris qui ondoyaient sous le souffle du vent.

— Tu vois, me dit Vitalis étendant la main sur la lande, qu’il serait inutile de chercher à te sauver, tu serais tout de suite repris par Capi et Zerbino.

Me sauver ! Je n’y pensais plus. Où aller d’ailleurs ? Chez qui ?

Après tout, ce grand vieillard à barbe blanche n’était peut-être pas aussi terrible que je l’avais cru d’abord ; et s’il était mon maître, peut-être ne serait-il pas un maître impitoyable.

Longtemps nous cheminâmes au milieu de tristes solitudes, ne quittant les landes que pour trouver des champs de brandes, et n’apercevant tout autour de nous, aussi loin que le regard s’étendait, que quelques collines arrondies aux sommets stériles.

Je m’étais fait une tout autre idée des voyages, et quand parfois dans mes rêveries enfantines j’avais quitté mon village, ç’avait été pour de belles contrées qui ne ressemblaient en rien à celle que la réalité me montrait.

C’était la première fois que je faisais une pareille marche d’une seule traite et sans me reposer.

Mon maître s’avançait d’un grand pas régulier, portant Joli Cœur sur son épaule ou sur son sac, et autour de lui les chiens trottinaient sans s’écarter.

De temps en temps Vitalis leur disait un mot d’amitié, tantôt en français, tantôt dans une langue que je ne connaissais pas.

Ni lui, ni eux ne paraissaient penser à la fatigue. Mais il n’en était pas de même pour moi. J’étais épuisé. La lassitude physique s’ajoutant au trouble moral, m’avait mis à bout de forces.

Je traînais les jambes et j’avais la plus grande peine à suivre mon maître. Cependant je n’osais pas demander à m’arrêter.

— Ce sont tes sabots qui te fatiguent, me dit-il ; à Ussel je t’achèterai des souliers.

Ce mot me rendit le courage.

En effet, des souliers avaient toujours été ce que j’avais le plus ardemment désiré. Le fils du maire et aussi le fils de l’aubergiste avaient des souliers, de sorte que le dimanche, quand ils arrivaient à la messe, ils glissaient sur les dalles sonores, tandis que nous autres paysans, avec nos sabots, nous faisions un tapage assourdissant.

— Ussel, c’est encore loin ?

— Voilà un cri du cœur, dit Vitalis en riant ; tu as donc bien envie d’avoir des souliers, mon garçon ? Eh bien ! je t’en promets avec des clous dessous. Et je te promets aussi une culotte de velours, une veste et un chapeau. Cela va sécher tes larmes, j’espère, et te donner des jambes pour faire les six lieues qui nous restent.

Des souliers avec des clous dessous ! Je fus ébloui. C’était déjà une chose prodigieuse pour moi que ces souliers, mais quand j’entendis parler de clous, j’oubliai mon chagrin.

Non, bien certainement, mon maître n’était pas un méchant homme.

Est-ce qu’un méchant se serait aperçu que mes sabots me fatiguaient ?

Des souliers, des souliers à clous ! une culotte de velours ! une veste ! un chapeau !

Ah ! si mère Barberin me voyait, comme elle serait contente, comme elle serait fière de moi !

Quel malheur qu’Ussel fut encore si loin !

Malgré les souliers et la culotte de velours qui étaient au bout des six lieues qui nous restaient à faire, il me sembla que je ne pourrais pas marcher si loin.

Heureusement le temps vint à mon aide.

Le ciel, qui avait été bleu depuis notre départ, s’emplit peu à peu de nuages gris, et bientôt il se mit à tomber une pluie fine qui ne cessa plus.

Avec sa peau de mouton, Vitalis était assez bien protégé, et il pouvait abriter Joli-Cœur qui, à la première goutte de pluie, était promptement rentré dans sa cachette. Mais les chiens et moi, qui n’avions rien pour nous couvrir, nous n’avions pas tardé à être mouillés jusqu’à la peau ; encore les chiens pouvaient-ils de temps en temps se secouer, tandis que ce moyen naturel n’étant pas fait pour moi, je devais marcher sous un poids qui m’écrasait et me glaçait.

— T’enrhumes-tu facilement ? me demanda mon maître.

— Je ne sais pas ; je ne me rappelle pas avoir été jamais enrhumé.

— Bien cela, bien ; décidément il y a du bon en toi. Mais je ne veux pas t’exposer inutilement, nous n’irons pas plus loin aujourd’hui. Voilà un village là-bas, nous y coucherons.

Mais il n’y avait pas d’auberge dans ce village, et personne ne voulut recevoir une sorte de mendiant qui traînait avec lui un enfant et trois chiens aussi crottés les uns que les autres.

— On ne loge pas ici, nous disait-on.

Et l’on nous fermait la porte au nez. Nous allions d’une maison à l’autre, sans qu’aucune s’ouvrît.

Faudrait-il donc faire encore, et sans repos, les quatre lieues qui nous séparaient d’Ussel ? La nuit arrivait, la pluie nous glaçait, et pour moi je sentais mes jambes raides comme des barres de bois.

Ah ! la maison de mère Barberin !

Enfin un paysan plus charitable que ses voisins, voulut bien nous ouvrir la porte d’une grange. Mais avant de nous laisser entrer il nous imposa la condition de ne pas avoir de lumière.

— Donnez-moi vos allumettes, dit-il à Vitalis, je vous les rendrai demain, quand vous partirez.

Au moins nous avions un toit pour nous abriter et la pluie ne nous tombait plus sur le corps.

Vitalis était un homme de précaution qui ne se mettait pas en route sans provisions. Dans le sac de soldat qu’il portait sur ses épaules se trouvait une grosse miche de pain qu’il partagea en quatre morceaux.

Alors je vis pour la première fois comment il maintenait l’obéissance et la discipline dans sa troupe.

Pendant que nous errions de porte en porte, cherchant notre gîte, Zerbino était entré dans une maison, et il en était ressorti aussitôt rapidement, portant une croûte dans sa gueule. Vitalis n’avait dit qu’un mot :

— À ce soir, Zerbino.

Je ne pensais plus à ce vol, quand je vis, au moment où notre maître coupait la miche, Zerbino prendre une mine basse.

Nous étions assis sur deux bottes de fougère, Vitalis et moi, à côté l’un de l’autre, Joli-Cœur entre nous deux ; les trois chiens étaient alignés devant nous, Capi et Dolce les yeux attachés sur ceux de leur maître, Zerbino le nez incliné en avant, les oreilles rasées.

— Que le voleur sorte des rangs, dit Vitalis d’une voix de commandement, et qu’il aille dans un coin ; il se couchera sans souper.

Aussitôt Zerbino quitta sa place et marchant en rampant, il alla se cacher dans le coin que la main de son maître lui avait indiqué ; il se fourra tout entier sous un amas de fougère, et nous ne le vîmes plus, mais nous l’entendions souffler plaintivement avec des petits cris étouffés.

Cette exécution accomplie, Vitalis me tendit mon pain, et tout en mangeant le sien, il partagea par petites bouchées entre Joli-Cœur, Capi et Dolce les morceaux qui leur étaient destinés.

Pendant les derniers mois que j’avais vécu auprès de mère Barberin, je n’avais certes pas été gâté ; cependant le changement me parut rude.

Ah ! comme la soupe chaude que mère Barberin nous faisait tous les soirs, m’eût paru bonne, même sans beurre !

Comme le coin du feu m’eût été agréable ; comme je me serais glissé avec bonheur dans mes draps, en remontant les couvertures jusqu’à mon nez !

Mais, hélas ! il ne pouvait être question ni de draps, ni de couverture, et nous devions nous trouver encore bien heureux d’avoir un lit de fougère.

Brisé par la fatigue, les pieds écorchés par mes sabots, je tremblais de froid dans mes vêtements mouillés.

La nuit était venue tout à fait, mais je ne pensais pas à dormir.

— Tes dents claquent, dit Vitalis ; tu as froid ?

— Un peu.

Je l’entendis ouvrir son sac.

— Je n’ai pas une garde-robe bien montée, dit-il, mais voici une chemise sèche et un gilet dans lesquels tu pourras t’envelopper après avoir défait tes vêtements mouillés ; puis tu t’enfonceras sous la fougère, tu ne tarderas pas à te réchauffer et à t’endormir.

Cependant, je ne me réchauffai pas aussi vite que Vitalis le croyait ; longtemps je me tournai et me retournai sur mon lit de fougère, trop endolori, trop malheureux pour pouvoir m’endormir.

Est-ce qu’il en serait maintenant tous les jours ainsi ? marcher sans repos sous la pluie, coucher dans une grange, trembler de froid, n’avoir pour souper qu’un morceau de pain sec, personne pour me plaindre, personne à aimer, plus de mère Barberin ?

Comme je réfléchissais tristement, le cœur gros et les yeux pleins de larmes, je sentis un souffle tiède me passer sur le visage.

J’étendis la main en avant et je rencontrai le poil laineux de Capi.

Il s’était doucement approché de moi, s’avançant avec précaution sur la fougère, et il me sentait ; il reniflait doucement ; son haleine me courait sur la figure et dans les cheveux.

Que voulait-il ?

Il se coucha bientôt sur la fougère, tout près de moi, et délicatement il se mit à me lécher la main.

Tout ému de cette caresse, je me soulevai à demi et l’embrassai sur son nez froid.

Il poussa un petit cri étouffé, puis, vivement, il mit sa patte dans ma main et ne bougea plus.

Alors j’oubliai fatigue et chagrins ; ma gorge contractée se desserra ; je respirai ; je n’étais plus seul : j’avais un ami.

Chapitre 13 Enfant trouvé 

Le temps avait passé vite pendant ce voyage, et le moment approchait où mon maître allait sortir de prison.

À mesure que nous nous éloignions de Toulouse, cette pensée m’avait de plus en plus vivement tourmenté.

C’était charmant de s’en aller ainsi en bateau, sans peine comme sans souci ; mais il faudrait revenir et faire à pied la route parcourue sur l’eau.

Ce serait moins charmant : plus de bon lit, plus de crèmes, plus de pâtisseries, plus de soirées autour de la table.

Et ce qui me touchait encore bien plus vivement, il faudrait me séparer d’Arthur et de madame Milligan ; il faudrait renoncer à leur affection, les perdre comme déjà j’avais perdu mère Barberin. N’aimerais-je donc, ne serais-je donc aimé que pour être séparé brutalement de ceux près de qui je voudrais passer ma vie !

Je puis dire que cette préoccupation a été le seul nuage de ces journées radieuses.

Un jour enfin, je me décidai à en faire part à madame Milligan, en lui demandant combien elle croyait qu’il me faudrait de temps pour retourner à Toulouse, car je voulais me trouver devant la porte de la prison, juste au moment où mon maître la franchirait.

En entendant parler de départ, Arthur poussa les hauts cris :

— Je ne veux pas que Rémi parte ! s’écria-t-il.

Je répondis que je n’étais pas libre de ma personne, que j’appartenais à mon maître, à qui mes parents m’avaient loué, et que je devais reprendre mon service auprès de lui le jour où il aurait besoin de moi.

Je parlai de mes parents sans dire qu’ils n’étaient pas réellement mes père et mère, car il aurait fallu avouer en même temps que je n’étais qu’un enfant trouvé ; et c’était là une honte à laquelle je ne pouvais pas me résigner tant j’avais souffert, depuis que je me rendais compte de mes sensations, du mépris que j’avais vu, dans notre village, marquer en toutes occasions aux enfants des hospices : enfant trouvé ! il me semblait que c’était tout ce qu’il y avait de plus abject au monde. Mon maître savait que j’étais un enfant trouvé, mais il était mon maître, tandis que je serais mort bouche close plutôt que d’avouer à madame Milligan et à Arthur, qui m’avaient élevé jusqu’à eux, que j’étais un enfant trouvé ; est-ce qu’ils ne m’auraient pas alors rejeté et repoussé avec dégoût !

— Maman, il faut retenir Rémi, continua Arthur qui en dehors du travail, était le maître de sa mère, et faisait d’elle tout ce qu’il voulait.

— Je serais très-heureuse de garder Rémi, répondit madame Milligan, vous l’avez pris en amitié, et moi-même j’ai pour lui beaucoup d’affection ; mais pour le retenir près de nous, il faut la réunion de deux conditions que ni vous ni moi ne pouvons décider. La première c’est que Rémi veuille rester avec nous…

— Ah ! Rémi voudra bien, interrompit Arthur, n’est-ce pas, Rémi, que vous ne voulez pas retourner à Toulouse ?

— La seconde, continua madame Milligan sans attendre ma réponse, c’est que son maître consente à renoncer aux droits qu’il a sur lui.

— Rémi, Rémi d’abord, interrompit Arthur poursuivant son idée.

Assurément Vitalis avait été un bon maître pour moi, et je lui étais reconnaissant de ses soins aussi bien que de ses leçons, mais il n’y avait aucune comparaison à établir entre l’existence que j’avais menée près de lui et celle que m’offrait madame Milligan ; et même il n’y avait aucune comparaison à établir entre l’affection que j’éprouvais pour Vitalis et celle que m’inspiraient madame Milligan et Arthur. Quand je pensais à cela, je me disais que c’était mal à moi de préférer à mon maître ces étrangers que je connaissais depuis si peu de temps ; mais enfin, cela était ainsi ; j’aimais tendrement madame Milligan et Arthur.

— Avant de répondre, continua madame Milligan, Rémi doit réfléchir que ce n’est pas seulement une vie de plaisir et de promenade que je lui propose, mais encore une vie de travail ; il faudra étudier, prendre de la peine, rester penché sur les livres, suivre Arthur dans ses études ; il faut mettre cela en balance avec la liberté des grands chemins.

— Il n’y a pas de balance, dis-je, et je vous assure, madame, que je sens tout le prix de votre proposition.

— Là, voyez-vous, maman ! s’écria Arthur, Rémi veut bien.

Et il se mit à applaudir. Il était évident que je venais de le tirer d’inquiétude, car lorsque sa mère avait parlé de travail et de livres j’avais vu son visage exprimer l’anxiété. Si j’allais refuser ! et cette crainte pour lui qui avait l’horreur des livres, avait dû être des plus vives. Mais je n’avais pas heureusement cette même crainte, et les livres, au lieu de m’épouvanter, m’attiraient. Il est vrai qu’il y avait bien peu de temps qu’on m’en avait mis entre les mains, et ceux qui y avaient passé m’avaient donné plus de plaisir que de peine. Aussi l’offre de madame Milligan me rendait-elle très-heureux, et étais-je parfaitement sincère en la remerciant de sa générosité. Je n’allais donc pas abandonner le Cygne ; je n’allais pas renoncer à cette douce existence, je n’allais pas me séparer d’Arthur et de sa mère.

— Maintenant, poursuivit madame Milligan, il nous reste à obtenir le consentement de son maître ; pour cela je vais lui écrire de venir nous trouver à Cette, car nous ne pouvons pas retourner à Toulouse : je lui enverrai ses frais de voyage et après lui avoir fait comprendre les raisons qui nous empêchent de prendre le chemin de fer j’espère qu’il voudra bien se rendre à mon invitation. S’il accepte mes propositions, il ne me restera plus qu’à m’entendre avec les parents de Rémi ; car eux aussi doivent être consultés.

Jusque-là tout dans cet entretien avait marché à souhait pour moi, exactement comme si une bonne fée m’avait touché de sa baguette ; mais ces derniers mots me ramenèrent durement du rêve où je planais dans la triste réalité.

Consulter mes parents !

Mais sûrement ils diraient ce que je voulais qui restât caché. La vérité éclaterait. Enfant trouvé !

Alors ce serait Arthur, ce serait madame Milligan qui ne voudraient pas de moi ; alors l’amitié qu’ils me témoignaient serait anéantie ; mon souvenir même leur serait pénible ; Arthur aurait joué avec un enfant trouvé, en aurait fait son camarade, son ami, presque son frère.

Je restai atterré.

Madame Milligan me regarda avec surprise et voulut me faire parler, mais je n’osai pas répondre à ses questions ; alors croyant sans doute que c’était la pensée de la prochaine arrivée de mon maître qui me troublait ainsi, elle n’insista pas.

Heureusement cela se passait le soir, peu de temps avant l’heure du coucher ; je pus échapper bientôt aux regards curieux d’Arthur et aller m’enfermer dans ma cabine avec mes craintes et mes réflexions.

Ce fut ma première mauvaise nuit à bord du Cygne, mais elle fut terriblement mauvaise, longue et fiévreuse.

Que faire ? Que dire ?

Je ne trouvais rien.

Et après avoir tourné et retourné cent fois les mêmes idées, après avoir adopté les résolutions les plus contradictoires, je m’arrêtai enfin à ne rien faire et à ne rien dire. Je laisserais aller les choses et je me résignerais, si je ne pouvais mieux, à ce qui arriverait.

Peut-être Vitalis ne voudrait-il pas renoncer à moi, et alors il n’y aurait pas à faire connaître la vérité.

Et tel était mon effroi de cette vérité, que je croyais si horrible, que j’en vins à souhaiter que Vitalis n’acceptât pas la proposition de madame Milligan.

Sans doute, il faudrait m’éloigner d’Arthur et de sa mère, renoncer à les revoir jamais peut-être ; mais au moins, ils ne garderaient pas de moi un mauvais souvenir.

Trois jours après avoir écrit à mon maître, madame Milligan reçut une réponse. En quelques lignes Vitalis disait qu’il aurait l’honneur de se rendre à l’invitation de madame Milligan et qu’il arriverait à Cette le samedi suivant par le train de deux heures.

Je demandai à madame Milligan la permission d’aller à la gare, et prenant les chiens ainsi que Joli-Cœur avec moi, nous attendîmes l’arrivée de notre maître.

Les chiens étaient inquiets comme s’ils se doutaient de quelque chose, Joli-Cœur était indifférent, et pour moi j’étais terriblement ému. C’était ma vie qui allait se décider. Ah ! si j’avais osé, comme j’aurais prié Vitalis de ne pas dire que j’étais un enfant trouvé !

Mais je n’osais pas, et je sentais que ces deux mots : « enfant trouvé », ne pourraient jamais sortir de ma gorge.

Je m’étais placé dans un coin de la cour de la gare, tenant mes trois chiens en laisse, et Joli-Cœur sous ma veste, et j’attendais sans trop voir ce qui se passait autour de moi.

Ce furent les chiens qui m’avertirent que le train était arrivé, et qu’ils avaient flairé notre maître. Tout à coup je me sentis entraîné en avant, et comme je n’étais pas sur mes gardes, les chiens m’échappèrent. Ils couraient en aboyant joyeusement, et presque aussitôt je les vis sauter autour de Vitalis qui dans son costume habituel, venait d’apparaître. Plus prompt, bien que moins souple que ses camarades, Capi s’était élancé dans les bras de son maître, tandis que Zerbino et Dolce se cramponnaient à ses jambes.

Je m’avançai à mon tour, et Vitalis posant Capi à terre, me serra dans ses bras : pour la première fois, il m’embrassa en me répétant à plusieurs reprises :

— Buon di, povero caro !

Mon maître n’avait jamais été dur pour moi, mais n’avait jamais non plus été caressant, et je n’étais pas habitué à ces témoignages d’effusion ; cela m’attendrit, et me fit venir les larmes aux yeux, car j’étais dans des dispositions où le cœur se serre vite.

Je le regardai, et je trouvai qu’il avait bien vieilli en prison ; sa taille s’était voûtée ; son visage avait pâli, ses lèvres s’étaient décolorées.

— Eh bien ! tu me trouves changé, n’est-ce pas, mon garçon ? me dit-il ; la prison est un mauvais séjour, et l’ennui une mauvaise maladie ; mais cela va aller mieux maintenant.

Puis changeant de sujet :

— Et cette dame qui m’a écrit, dit-il, comment l’as-tu connue ?

Alors, je lui racontai comment j’avais rencontré le Cygne,et comment depuis ce moment j’avais vécu auprès de madame Milligan et de son fils ; ce que nous avions vu, ce que nous avions fait.

Mon récit fut d’autant plus long que j’avais peur d’arriver à la fin et d’aborder un sujet qui m’épouvantait ; car jamais maintenant je ne pourrais dire à mon maître que je désirais le quitter pour rester avec madame Milligan et Arthur.

Mais je n’eus pas cet aveu à lui faire, car nous arrivâmes à l’hôtel où madame Milligan s’était logée avant que mon récit fût terminé. D’ailleurs Vitalis ne me dit rien de la lettre de madame Milligan et ne me parla pas des propositions qu’elle avait dû lui adresser dans cette lettre.

— Et cette dame m’attend ? dit-il, quand nous entrâmes à l’hôtel.

— Oui, je vais vous conduire à son appartement.

— C’est inutile, donne-moi le numéro et reste ici à m’attendre, avec les chiens et Joli-Cœur.

Quand mon maître avait parlé, je n’avais pas l’habitude de répliquer ou de discuter ; je voulus cependant risquer une observation, pour lui demander de l’accompagner auprès de madame Milligan, ce qui me semblait aussi naturel que juste ; mais d’un geste il me ferma la bouche et je lui obéis, restant à la porte de l’hôtel, sur un banc, avec les chiens autour de moi. Eux aussi avaient voulu le suivre, mais ils n’avaient pas plus résisté à son ordre de ne pas entrer, que je n’y avais résisté moi-même ; Vitalis savait commander.

Pourquoi n’avait-il pas voulu que j’assistasse à son entretien avec madame Milligan ? Ce fut ce que je me demandai, tournant cette question dans tous les sens. Je ne lui avais pas encore trouvé de réponse lorsque je le vis revenir.

— Va faire tes adieux à cette dame, me dit-il, je t’attends ici ; nous partons dans dix minutes.

Je fus renversé.

— Eh bien ! dit-il après quelques minutes d’attente, tu ne m’as donc pas compris ? tu restes là stupide : dépêchons !

Ce n’était pas son habitude de me parler durement, et depuis que j’étais avec lui, il ne m’en avait jamais autant dit.

Je me levai pour obéir machinalement sans comprendre.

Mais après avoir fait quelques pas pour monter à l’appartement de madame Milligan :

— Vous avez donc dit… demandai-je.

— J’ai dit que tu m’étais utile et que je t’étais moi-même utile ; par conséquent, que je n’étais pas disposé à céder les droits que j’avais sur toi ; marche et reviens.

Cela me rendit un peu de courage, car j’étais si complètement sous l’influence de mon idée fixe d’enfant trouvé, que j’imaginais que, s’il fallait partir avant dix minutes, c’était parce que mon maître avait dit ce qu’il savait de ma naissance.

En entrant dans l’appartement de madame Milligan, je trouvai Arthur en larmes et sa mère penchée sur lui pour le consoler.

— N’est-ce pas, Rémi, que vous n’allez pas partir ? s’écria Arthur.

Ce fut madame Milligan qui répondit pour moi, en expliquant que je devais obéir.

— J’ai demandé à votre maître de vous garder près de nous, me dit-elle d’une voix qui me fit monter les larmes aux yeux, mais il ne veut pas y consentir, et rien n’a pu le décider.

— C’est un méchant homme ! s’écria Arthur.

— Non, ce n’est point un méchant homme, poursuivit madame Milligan, vous lui êtes utile, et de plus je crois qu’il a pour vous une véritable affection. D’ailleurs, ses paroles sont celles d’un honnête homme et de quelqu’un au-dessus de sa condition. Voilà ce qu’il m’a répondu pour expliquer son refus : « J’aime cet enfant, il m’aime ; le rude apprentissage de la vie que je lui fais faire près de moi lui sera plus utile que l’état de domesticité déguisée dans lequel vous le feriez vivre malgré vous. Vous lui donneriez de l’instruction, de l’éducation, c’est vrai ; vous formeriez son esprit, c’est vrai, mais non son caractère. Il ne peut pas être votre fils ; il sera le mien ; cela vaudra mieux que d’être le jouet de votre enfant malade, doux, si aimable que paraisse être cet enfant. Moi aussi je l’instruirai. »

— Puisqu’il n’est pas le père de Rémi ! s’écria Arthur.

— Il n’est pas son père, cela est vrai, mais il est son maître, et Rémi lui appartient, puisque ses parents le lui ont loué. Il faut que pour le moment Rémi lui obéisse.

— Je ne veux pas que Rémi parte.

— Il faut cependant qu’il suive son maître ; mais j’espère que ce ne sera pas pour longtemps. Nous écrirons à ses parents, et je m’entendrai avec eux.

— Oh ! non ! m’écriai-je.

— Comment, non ?

— Oh ! non, je vous en prie !

— Il n’y a cependant que ce moyen, mon enfant.

— Je vous en prie, n’est-ce pas ?

Il est à peu près certain que si madame Milligan n’avait pas parlé de mes parents, j’aurais donné à nos adieux beaucoup plus que les dix minutes qui m’avaient été accordées par mon maître.

— C’est à Chavanon, n’est-ce pas ? continua madame Milligan.

Sans lui répondre, je m’approchai d’Arthur et le prenant dans mes bras, je l’embrassai à plusieurs reprises, mettant dans ces baisers toute l’amitié fraternelle que je ressentais pour lui. Puis m’arrachant à sa faible étreinte et revenant à madame Milligan, je me mis à genoux devant elle, et lui baisai la main.

— Pauvre enfant ! dit-elle en se penchant sur moi.

Et elle m’embrassa au front.

Alors je me relevai vivement et courant à la porte :

— Arthur, je vous aimerai toujours ! dis-je d’une voix entrecoupée par les sanglots, et vous, madame, je ne vous oublierai jamais !

— Rémi, Rémi ! cria Arthur.

Mais je n’en entendis pas davantage ; j’étais sorti et j’avais refermé la porte.

Une minute après, j’étais auprès de mon maître.

— En route ! me dit-il.

Et nous sortîmes de Cette par la route de Frontignan.

Ce fut ainsi que je quittai mon premier ami et me lançai dans des aventures qui m’auraient été épargnées, si victime d’un odieux préjugé, je ne m’étais pas laissé affoler par une sotte crainte.

Chapitre 19  Lise 

Quand je me réveillai j’étais dans un lit ; la flamme d’un grand feu éclairait la chambre où j’étais couché.

Je regardai autour de moi.

Je ne connaissais pas cette chambre.

Je ne connaissais pas non plus les figures qui m’entouraient : un homme en veste grise et en sabots jaunes ; trois ou quatre enfants dont une petite fille de cinq ou six ans qui fixait sur moi des yeux étonnés ; ces yeux étaient étranges, ils parlaient.

Je me soulevai.

On s’empressa autour de moi.

— Vitalis ? dis-je.

— Il demande son père, dit une jeune fille qui paraissait l’aînée des enfants.

— Ce n’est pas mon père, c’est mon maître ; où est-il ? Où est Capi ?

Vitalis eût été mon père, on eût pris sans doute des ménagements pour me parler de lui ; mais comme il n’était que mon maître, on jugea qu’il n’y avait qu’à me dire simplement la vérité, et voici ce qu’on m’apprit.

La porte dans l’embrasure de laquelle nous nous étions blottis était celle d’un jardinier. Vers deux heures du matin, ce jardinier avait ouvert cette porte pour aller au marché, et il nous avait trouvés couchés sous notre couverture de paille. On avait commencé par nous dire de nous lever, afin de laisser passer la voiture ; puis, comme nous ne bougions ni l’un ni l’autre, et que Capi seul répondait en aboyant pour nous défendre, on nous avait pris par le bras pour nous secouer. Nous n’avions pas bougé davantage Alors on avait pensé qu’il se passait quelque chose de grave. On avait apporté une lanterne : le résultat de l’examen avait été que Vitalis était mort, mort de froid, et que je ne valais pas beaucoup mieux que lui. Cependant, comme grâce à Capi couché sur ma poitrine, j’avais conservé un peu de chaleur au cœur, j’avais résisté et je respirais encore. On m’avait alors porté dans la maison du jardinier et l’on m’avait couché dans le lit d’un des enfants qu’on avait fait lever. J’étais resté là six heures, à peu près mort ; puis la circulation du sang s’était rétablie, la respiration avait repris de la force, et je venais de m’éveiller.

Si engourdi, si paralysé que je fusse de corps et d’intelligence, je me trouvai cependant assez éveillé pour comprendre dans toute leur étendue les paroles que je venais d’entendre. Vitalis mort !

C’était l’homme à la veste grise, c’est-à-dire le jardinier qui me faisait ce récit, et pendant qu’il parlait, la petite fille au regard étonné ne me quittait pas des yeux. Quand son père eut dit que Vitalis était mort, elle comprit sans doute, elle sentit par une intuition rapide le coup que cette nouvelle me portait, car quittant vivement son coin elle s’avança vers son père, lui posa une main sur le bras et me désigna de l’autre main en faisant entendre un son étrange qui n’était point la parole humaine mais quelque chose comme un soupir doux et compatissant.

D’ailleurs le geste était si éloquent qu’il n’avait pas besoin d’être appuyé par des mots ; je sentis dans ce geste et dans le regard qui l’accompagnait une sympathie instinctive, et pour la première fois depuis ma séparation d’avec Arthur j’éprouvai un sentiment indéfinissable de confiance et de tendresse, comme au temps où mère Barberin me regardait avant de m’embrasser. Vitalis était mort, j’étais abandonné, et cependant il me sembla que je n’étais point seul, comme s’il eût été encore là près de moi.

— Eh bien, oui, ma petite Lise, dit le père en se penchant vers sa fille, ça lui fait de la peine, mais il faut bien lui dire la vérité, si ce n’est pas nous, ce seront les gens de la police.

Et il continua à me raconter comment on avait été prévenir les sergents de ville, et comment Vitalis avait été emporté par eux tandis qu’on m’installait, moi, dans le lit d’Alexis, son fils aîné.

— Et Capi ? dis-je, lorsqu’il eut cessé de parler.

— Capi !

— Oui, le chien ?

— Je ne sais pas, il a disparu.

— Il a suivi le brancard, dit l’un des enfants.

— Tu l’as vu, Benjamin ?

— Je crois bien, il marchait sur les talons des porteurs, la tête basse, et de temps en temps il sautait sur le brancard, puis quand on le faisait descendre, il poussait un cri plaintif, comme un hurlement étouffé.

Pauvre Capi ! lui qui tant de fois avait suivi, en bon comédien, l’enterrement pour rire de Zerbino, en prenant une mine de pleureur, en poussant des soupirs qui faisaient se pâmer les enfants les plus sombres…

Le jardinier et ses enfants me laissèrent seul, et sans trop savoir ce que je faisais, et surtout ce que j’allais faire, je me levai.

Ma harpe avait été déposée aux pieds du lit sur lequel on m’avait couché, je passai la bandoulière autour de mon épaule, et j’entrai dans la pièce où le jardinier était entré avec ses enfants. Il fallait bien partir, pour aller où ?… je n’en avais pas conscience, mais je sentais que je devais partir… et je partais.

Dans le lit, en me réveillant, je ne m’étais pas trouvé trop mal à mon aise, courbaturé seulement, avec une insupportable chaleur à la tête ; mais, quand je fus sur mes jambes, il me sembla que j’allais tomber, et je fus obligé de me retenir à une chaise. Cependant, après un moment de repos, je poussai la porte et me retrouvai en présence du jardinier et de ses enfants.

Ils étaient assis devant une table, auprès d’un feu qui flambait dans une haute cheminée, et en train de manger une bonne soupe aux choux.

L’odeur de la soupe me porta au cœur et me rappela brutalement que je n’avais pas dîné la veille ; j’eus une sorte de défaillance et je chancelai. Mon malaise se traduisit sur mon visage.

— Est-ce que tu te trouves mal, mon garçon ! demanda le jardinier d’une voix compatissante.

Je répondis qu’en effet je ne me sentais pas bien, et que si on voulait le permettre je resterais assis un moment auprès du feu.

Mais ce n’était plus de chaleur que j’avais besoin, c’était de nourriture ; le feu ne me remit pas, et le fumet de la soupe, le bruit des cuillers dans les assiettes, le clappement de langue de ceux qui mangeaient, augmentèrent encore ma faiblesse.

Si j’avais osé, comme j’aurais demandé une assiettée de soupe, mais Vitalis ne m’avait pas appris à tendre la main, et la nature ne m’avait pas créé mendiant ; je serais plutôt mort de faim que de dire « j’ai faim ». Pourquoi, je n’en sais trop rien ? si ce n’est parce que je n’ai jamais voulu demander que ce que je pouvais rendre.

La petite fille au regard étrange, celle qui ne parlait pas et que son père avait appelée Lise, était en face de moi, et au lieu de manger elle me regardait sans baisser ou détourner les yeux. Tout à coup elle se leva de table, et prenant son assiette qui était pleine de soupe, elle me l’apporta et me la mit sur les genoux.

Faiblement, car je n’avais plus de voix pour parler, je fis un geste de la main pour la remercier, mais son père ne m’en laissa pas le temps.

— Accepte, mon garçon, dit-il, ce que Lise donne est bien donné ; et si le cœur t’en dit, après celle-là une autre.

Chapitre 23  En famille 

Les années se sont écoulées, — nombreuses, mais courtes, car elles n’ont été remplies que de belles et douces journées.

J’habite en ce moment l’Angleterre, Milligan-Park, le manoir de mes pères.

L’enfant sans famille, sans soutien, abandonné et perdu dans la vie, ballotté au caprice du hasard, sans phare pour le guider au milieu de la vaste mer où il se débat, sans port de refuge pour le recevoir, a non-seulement une mère, un frère qu’il aime, et dont il est aimé, mais encore il a des ancêtres qui lui ont laissé un nom honoré dans son pays et une belle fortune.

Le petit misérable, qui enfant a passé tant de nuits dans les granges, dans les étables, ou au coin d’un bois à la belle étoile, est maintenant l’héritier d’un vieux château historique que visitent les curieux, et que recommandent les guides.

C’est à une vingtaine de lieues à l’ouest de l’endroit où je m’embarquai, poursuivi par les gens de justice, qu’il s’élève à mi-côte dans un vallon, bien boisé malgré le voisinage de la mer. Bâti sur une sorte d’esplanade naturelle, il a la forme d’un cube, et il est flanqué d’une grosse tour ronde à chaque coin. Les deux façades, exposées au sud et à l’ouest, sont enguirlandées de glycines et de rosiers grimpants ; celles du nord et de l’est sont couvertes de lierre dont les troncs, gros comme le corps d’un homme à leur sortie de terre, attestent la vétusté, et il faut tous les soins vigilants des jardiniers pour que leur végétation envahissante ne cache point sous son vert manteau les arabesques et les rinceaux finement sculptés dans la pierre blanche du cadre et des meneaux des fenêtres. Un vaste parc l’entoure ; il est planté de vieux arbres que ni la serpe ni la hache n’ont jamais touchés, et il est arrosé de belles eaux limpides qui font ses gazons toujours verts. Dans une futaie de hêtres vénérables, des corneilles viennent percher chaque nuit, annonçant par leurs croassements le commencement et la fin du jour.

C’est ce vieux manoir de Milligan-Park que nous habitons en famille, ma mère, mon frère, ma femme et moi.

Depuis six mois que nous y sommes installés, j’ai passé bien des heures dans le chartrier où sont conservés les chartes, les titres de propriété, les papiers de la famille, penché sur une large table en chêne noircie par les ans, occupé à écrire ; ce ne sont point cependant ces chartes ni ces papiers de famille que je consulte laborieusement, c’est le livre de mes souvenirs que je feuillette et mets en ordre.

Nous allons baptiser notre premier enfant, notre fils, le petit Mattia, et à l’occasion de ce baptême, qui va réunir dans le manoir de mes pères tous ceux qui ont été mes amis des mauvais jours, je veux offrir à chacun d’eux un récit des aventures auxquelles ils ont été mêlés, comme un témoignage de gratitude pour le secours qu’ils m’ont donné ou l’affection qu’ils ont eue pour le pauvre enfant perdu. Quand j’ai achevé un chapitre, je l’envoie à Dorchester, chez le lithographe ; et ce jour même j’attends les copies autographiées de mon manuscrit pour en donner une à chacun de mes invités.

Cette réunion est une surprise que je leur fais, et que je fais aussi à ma femme, qui va voir son père, sa sœur, ses frères, sa tante qu’elle n’attend pas ; seuls ma mère et mon frère sont dans le secret : si aucune complication n’entrave nos combinaisons, tous logeront ce soir sous mon toit et j’aurai la joie de les voir autour de ma table.

Un seul manquera à cette fête, car si grande que soit la puissance de la fortune, elle ne peut pas rendre la vie à ceux qui ne sont plus. Pauvre cher vieux maître, comme j’aurais été heureux d’assurer votre repos ! Vous auriez déposé la piva, la peau de mouton et la veste de velours ; vous n’auriez plus répété : « En avant, mes enfants ! » une vieillesse honorée vous eût permis de relever votre belle tête blanche et de reprendre votre nom ; Vitalis, le vieux vagabond, fût redevenu Carlo Balzani le célèbre chanteur. Mais ce que la mort impitoyable ne m’a pas permis pour vous, je l’ai fait au moins pour votre mémoire ; et à Paris, dans le cimetière Montparnasse, ce nom de Carlo Balzani est inscrit sur la tombe que ma mère, sur ma demande, vous a élevée ; et votre buste en bronze sculpté d’après les portraits publiés au temps de votre célébrité, rappelle votre gloire à ceux qui vous ont applaudi : une copie de ce buste a été coulée pour moi ; elle est là devant moi, et en écrivant le récit de mes premières années d’épreuves, alors que la marche des événements se déroulait, mes yeux bien souvent ont cherché les vôtres. Je ne vous ai point oublié, je ne vous oublierai jamais, soyez-en sûr ; si dans cette existence périlleuse d’un enfant perdu je n’ai pas trébuché, je ne suis pas tombé, c’est à vous que je le dois, à vos leçons, à vos exemples, ô mon vieux maître ! et dans toute fête votre place sera pieusement réservée : si vous ne me voyez pas, moi je vous verrai.

Mais voici ma mère qui s’avance dans la galerie des portraits : l’âge n’a point terni sa beauté ; et je la vois aujourd’hui telle qu’elle m’est apparue pour la première fois, sous la verandah du Cygne, avec son air noble, si rempli de douceur et de bonté ; seul le voile de mélancolie alors continuellement baissé sur son visage s’est effacé.

Elle s’appuie sur le bras d’Arthur, car maintenant ce n’est plus la mère qui soutient son fils débile et chancelant, c’est le fils devenu un beau et vigoureux jeune homme, habile à tous les exercices du corps, élégant écuyer, solide rameur, intrépide chasseur qui avec une affectueuse sollicitude offre son bras à sa mère ; car contrairement au pronostic de mon oncle M. James Milligan, le miracle s’est accompli : Arthur a vécu, et il vivra.

À quelque distance derrière eux, je vois venir une vieille femme vêtue comme une paysanne française et portant sur ses bras un tout petit enfant enveloppé dans une pelisse blanche : la vieille paysanne c’est mère Barberin et l’enfant c’est le mien, c’est mon fils, le petit Mattia.

Après avoir retrouvé ma mère, j’avais voulu que mère Barberin restât près de nous, mais elle n’avait pas accepté :

— Non, m’avait-elle dit, mon petit Rémi, ma place n’est pas chez ta mère en ce moment. Tu vas avoir à travailler pour t’instruire et pour devenir un vrai monsieur par l’éducation, comme tu en es un par la naissance. Que ferais-je auprès de toi ? Ma place n’est pas dans la maison de ta vraie mère. Laisse-moi retourner à Chavanon. Mais pour cela notre séparation ne sera peut-être pas éternelle. Tu vas grandir ; tu te marieras, tu auras des enfants. Alors, si tu le veux, et si je suis encore en vie, je reviendrai près de toi pour élever tes enfants. Je ne pourrai pas être leur nourrice comme j’ai été la tienne, car je serai vieille, mais la vieillesse n’empêche pas de bien soigner un enfant ; on a l’expérience ; on ne dort pas trop. Et puis je l’aimerai, ton enfant, et ce n’est pas moi, tu peux en être certain, qui me le laisserai voler comme on t’a volé toi-même.

Il a été fait comme mère Barberin désirait ; peu de temps avant la naissance de notre enfant, on a été la chercher à Chavanon et elle a tout quitté, son village ses habitudes, ses amis, la vache issue de la nôtre pour venir en Angleterre près de nous ; notre petit Mattia est nourri par sa mère, mais il est soigné, porté, amusé, cajolé par mère Barberin, qui déclare que c’est le plus bel enfant qu’elle ait jamais vu.







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